COMMMENT DEUX RETRAITES TOGOLAIS CHOISISSENT LES RÉALITÉS

Seul un sot mesure l’eau avec un panier

Proverbe nigérian

Kouma et Fousseni dans un maquis à Niamey

Dans la chaleur dorée d’un maquis huppé de Niamey, à l’ombre des grands arbres qui bordent les terrasses bien entretenues, deux amis de longue date, Kouma et Fousseni, savourent un déjeuner copieux. Tous deux sont à l’aube de la retraite. Ils sont Togolais, mais leur vie professionnelle les a conduits au Niger. Ils y ont bâti non seulement des carrières solides, mais aussi des familles. Ce midi-là, une discussion profonde s’engage autour de leur avenir. Rentrer au pays ou rester ?

Une amitié forgée dans l’exil

Kouma, 58 ans, technicien vétérinaire respecté dans une grande société animalière, est un homme posé. Son regard calme et réfléchi trahit l’expérience et l’amour du travail bien fait. À ses côtés, Fousseni, 56 ans, cadre mécanicien dans une importante entreprise de transport routier, est plus expressif, plus tranché dans ses opinions. Ce sont deux amis, presque frères, liés par leur origine togolaise et les défis d’une vie professionnelle menée à l’étranger.

Ils trinquent à leur santé, à leurs familles, et à cette étape de la vie où l’on commence à réfléchir autrement.

« Kouma, toi tu penses rester ici même après la retraite ? » lance Fousseni après quelques bouchées de brochettes de mouton, ses sourcils froncés par la surprise.

Kouma sourit, sans se démonter. « Oui, mon frère. Et pourquoi pas ? Le Niger m’a donné une stabilité, un foyer, une belle carrière. Ma femme est Nigérienne, nos enfants sont ici… Et pour être honnête, mon métier a encore de l’avenir ici. Les besoins en santé animale sont énormes, le terrain est vaste, les élevages se multiplient. »

La vive réaction de Fousseni

Fousseni dépose sa fourchette, les yeux écarquillés. « Ah bon ! Kouma, ne me dis pas que tu veux finir ta vie ici en laissant le Togo derrière toi ? Toi, un fils de Kloto ? Tu veux abandonner la terre de nos ancêtres ? »

Kouma éclate de rire. « Ce n’est pas une question d’abandon. C’est une question de continuité. Ma vie, aujourd’hui, c’est ici. Et je ne rejette pas le Togo, je me sens toujours Togolais dans le sang. Mais le cœur, lui, a aussi des attaches. »

Fousseni soupire, pensif. Il regarde la salle du maquis, les clients qui discutent, des couples mixtes, des familles détendues. Il sait que la réalité n’est plus aussi simple qu’un choix binaire entre “rentrer” ou “rester”.

S’adapter aux réalités du terrain

« Je t’avoue, moi aussi j’ai longtemps cru que je retournerais au pays », finit par admettre Fousseni. « J’imaginais construire une maison à Sokodé, ouvrir un petit garage, vivre tranquillement. Mais la vérité, c’est que j’ai ici une clientèle fidèle, une réputation que je n’aurai jamais le temps de reconstruire là-bas. »

Il marque une pause, puis ajoute avec un sourire : « Et tu connais bien ma femme, hein ? Elle est Togolaise, oui, mais elle a trouvé ici une stabilité dans son métier de couturière. Elle a ses clientes, ses commandes, ses défilés de mode même ! Chaque fois qu’elle m’en parle, je sens sa passion. Elle s’est fait un nom. »

Kouma hoche la tête, compréhensif. « C’est ce que j’essaie de dire. La vie ici, ce n’est pas un exil. C’est une autre façon d’exister, tout simplement. »

Les enfants au cœur de la décision

« Et tes enfants ? » demande Fousseni, « Tu ne veux pas qu’ils connaissent leurs racines, qu’ils parlent leur langue, qu’ils sachent d’où ils viennent ? »

Kouma sourit tendrement. « Si, bien sûr. D’ailleurs, chaque grande vacance, on part pour le Togo. Je les emmène voir mes frères à Kpalimé. On passe par Kara, on mange les plats du pays et ils apprennent les contes en langue maternelle. Ce n’est pas parce que je vis ici qu’ils doivent oublier qui ils sont. »

Fousseni acquiesce. « Moi aussi, j’ai pris cette décision. Je vais rester au Niger, mais je compte bien emmener mes deux fils régulièrement au pays. Ils doivent se ressourcer et voir leur oncle, Alassane, et leur grand-mère, entre autres. C’est comme ça qu’on construit un pont entre deux mondes. »

Choisir entre idéal et pragmatisme

Ce qui aurait pu être une opposition s’est mué en convergence d’idées. Les deux hommes comprennent qu’au fond, ils ne sont pas si différents. Tous deux aiment leur pays d’origine, mais reconnaissent aussi les opportunités et la vie qu’ils ont bâtie ailleurs.

« Tu sais, au fond, ce n’est pas une trahison que de rester ici », dit Kouma. « C’est simplement la vie qui suit son cours. Nous ne sommes pas les seuls. Des milliers d’Africains vivent ailleurs tout en gardant leur identité intacte. »

Fousseni acquiesce. « Et puis, rien ne dit qu’on ne reviendra pas un jour pour de bon. Mais pour l’instant, on reste là où notre vie a du sens. »

Une amitié renforcée

Le serveur leur apporte un dessert typique nigérien, des beignets de mil accompagnés de miel. L’atmosphère est plus détendue. La conversation a permis à chacun d’exposer ses raisons, de mettre des mots sur ce tiraillement si fréquent chez les expatriés africains : rester dans le pays d’accueil ou retourner au bercail ?

Ce n’est pas une décision simple. Elle n’est ni purement sentimentale, ni entièrement rationnelle. Elle est humaine, faite de mille petits paramètres : les enfants, les conjoints, la carrière, la qualité de vie, la stabilité, la peur de tout recommencer.

Kouma et Fousseni lèvent leur verre à nouveau.

« À nos choix ! » lance Kouma.

« Et à nos racines ! » complète Fousseni.

Et vous, qu’auriez-vous fait à leur place ?

Rester dans le pays d’accueil pour préserver la stabilité professionnelle et familiale ou rentrer au Togo pour retrouver ses racines, malgré les incertitudes économiques et sociales ?
Est-il possible d’aimer profondément son pays d’origine tout en choisissant de construire son avenir ailleurs ?
Comment transmettre l’identité culturelle aux enfants nés et élevés loin du Togo ?

Partagez vos réflexions en commentaire. Peut-être êtes-vous, vous aussi, à un carrefour semblable… ou connaissez-vous quelqu’un qui l’est.

Parce qu’au fond, comme le dit souvent le blogueur Olivier Roland : il ne s’agit pas de choisir entre l’un ou l’autre monde, mais d’apprendre à construire sa propre vie, avec conscience, audace et liberté

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